ARCHIVÉ – Immigrants récents, immigrants antérieurs et natifs du Canada : association aux identités collectives

4. Résultats et discussion (suite)

4.3 Analyse de régression logistique ordonnée

Afin de mieux comprendre les variables associées à la probabilité qu’un individu s’identifie en tant que citoyen du Canada, nous avons procédé à une analyse de régression logistique ordonnée. Le Tableau 4-1 présente les résultats de la régression logistique ordonnée, y compris les coefficients, les écarts-types, le rapport de cotes (RC) et les niveaux de signification.

Le pseudo R au carré dans la population née au Canada est de 0,310; il est de 0,319 pour les immigrants antérieurs et de 0,202 pour les immigrants récents. Cela signifie que ces variables explicatives sélectionnées représentent environ 31 %, 32 % et 20 % respectivement de la variance dans la variable « identification en tant que citoyen du Canada dans son ensemble ». Les résultats de la régression logistique ordonnée pour l’échantillon total (y compris l’échantillon élargi des nouveaux immigrants) se trouvent à l’appendice B. Veuillez consulter l’appendice C pour les définitions des variables utilisées dans les modèles de régression.

Tableau 4-1 : Variables explicatives de l’identification en tant que citoyen du Canada – Régression logistique ordonnée

Couche
Variable dépendante Statut d’immigrant
Identification en tant que citoyen du Canada Natifs du Canada Immigrants antérieurs Immigrants récents
Coeff. E.T. Rapport de cotes Coeff. E.T. Rapport de cotes Coeff. E.T. Rapport de cotes
Âge 0,006 0,004 1,006 0,010 0,012 1,011 0,039** 0,015 1,040
Femmes -0,179 0,142 0,836 -0,441 0,376 0,643 -0,139 0,233 0,870
Postsecondaire 0,257 0,156 1,293 0,633 0,436 1,884 0,548 0,430 1,729
Revenu faible -0,144 0,177 0,866 -0,320 0,476 0,726 0,206 0,275 1,229
Revenu élevé -0,025 0,177 0,975 0,057 0,481 1,059 0,271 0,345 1,312
Québec -1,831** 0,278 0,160 -1,134 0,780 0,322 -0,126 0,284 0,882
Très fier d’être Canadien 0,996** 0,209 2,707 1,658** 0,472 5,250 0,828* 0,332 2,289
Pas un citoyen canadien             -0,202 0,273 0,817
Interaction :
Très fier d’être Canadien × Québec
0,910** 0,341 2,483 0,604 0,961 1,829 0,801 0,582 2,227
S’identifie « tout à fait » comme :
Citoyen du monde 1,557 0,200 4,746 0,442 0,514 1,556 1,272** 0,266 3,568
Membre de la communauté locale 2,473 0,192 11,856 2,670** 0,543 14,434 1,596** 0,329 4,933
Citoyen d’un autre pays -0,304 0,506 0,738 1,531 0,803 4,621 0,622 0,416 1,863
Personne autonome 0,674** 0,199 1,961 0,977 0,557 2,658 0,750* 0,331 2,118
Section 1 -4,751 0,516   -1,659 0,917   -3,566 1,225  
Section 2 -2,507 0,342   2,746 0,929   -0,730 0,750  
Section 3 2,124 0,321         3,489 0,764  
Pseudo R2 0,310     0,319     0,202    
N 1238     185     403    

* Significatif à p < 0,05
** Significatif à p < 0,01
Source : World Values Survey, 2006

D’après Hjerm, [traduction] « l’identité nationale pourrait être décrite comme une prise de conscience de l’affiliation à la nation qui donne aux gens un sentiment de ce qu’ils sont par rapport aux autres, ou leur insuffle une certaine détermination faisant ainsi qu’ils se sentent chez eux » (Hjerm, 1988, p. 339). Les résultats de l’analyse de la régression logistique ordonnée montrent que le revenu n’est pas lié à la probabilité qu’un individu s’identifie en tant que citoyen du Canada. Cette constatation concorde avec les résultats de Walters et coll. découlant de l’EDE, selon lesquels [traduction] « l’identification à la société d’accueil est importante pour l’unité nationale, qui semble être indépendante du niveau d’intégration économique de l’individu » (Walters et coll., 2007, p. 60). Les auteurs font valoir qu’il y a une importante distinction à faire entre l’intégration identitaire et l’intégration économique. Leurs résultats, fondés sur des données transversales, [traduction] « fournissent des preuves préliminaires selon lesquelles l’intégration économique ne joue pas un rôle prépondérant dans l’acculturation des identités des immigrants » (Walters et coll., 2007, p. 60).

Nos résultats montrent que, quand on examine séparément les natifs du Canada, les immigrants récents et les immigrants antérieurs, l’accession aux études postsecondaires n’est pas associée à l’identification en tant que citoyen du Canada. Pour les immigrants récents, les répondants plus âgés sont légèrement plus susceptibles de s’identifier positivement en tant que citoyens du Canada (RC = 1,04, p<0,01). En outre, les natifs du Canada, les immigrants antérieurs et les immigrants récents qui ont répondu qu’ils sont « très fiers » d’être Canadiens sont beaucoup plus susceptibles de s’identifier positivement en tant que citoyens du Canada (RC = 2,7, p<0,01; RC = 5,3, p<0,01; et RC = 2,3, p<0,05 respectivement).

Les résultats de la régression indiquent que, pour les natifs du Canada, ceux qui résident au Québec sont moins susceptibles de s’identifier comme citoyens canadiens (RC = 0,16, p<0,01). Cette constatation concorde avec les résultats de Soroka et coll. fondés sur la deuxième vague de l’enquête Equality, Security and Community Survey. Soroka et coll. ont conclu que [traduction] « les francophones du Québec sont significativement moins attachés au Canada que les autres (en termes de fierté et de sentiment d’appartenance) » (Soroka et coll., 2007, p. 584). Il n’y a pas de résultats statistiquement significatifs semblant indiquer que c’est le cas pour les immigrants récents et antérieurs qui résident au Québec.

Les résultats de l’analyse de régression ordonnée indiquent que l’identification en tant que citoyen du monde n’est pas liée à une tendance à la baisse de s’identifier comme citoyen canadien et fournissent les preuves préliminaires permettant de rejeter les prétentions selon lesquelles la montée de la mondialisation s’accompagne de la déterritorialisation des identités. D’après Jedwab, [traduction] « certains craignent que la mondialisation continue de brouiller les frontières territoriales et nationales, écartant encore davantage les identités de la perspective rigoureuse de l’affiliation nationale » (Jedwab, 2007, p. 67). D’après les résultats, il semble que le contraire soit effectivement le cas. Il semble que pour les répondants immigrants récents, la tendance à fortement s’identifier en tant que citoyens du monde soit liée à la probabilité de s’identifier comme citoyens du Canada (RC = 3,5, p<0,01). En outre, quand on examine l’échantillon de la WVS, les résultats montrent une relation positive et statistiquement significative (RC = 3,9, p<0,01, voir l’appendice B).

Ces constatations appuient l’idée selon laquelle un individu peut avoir de multiples identités et appartenances sans qu’elles entrent nécessairement en conflit ou en collision les unes avec les autres. Elles sont également conformes à l’argument de Ehrkamp et Leitner qui affirment que bien que [traduction] « les pratiques et les identités des migrants transnationaux soient multiples et transterritoriales », les frontières communes [traduction] « n’impliquent pas que les identifications avec des entités politiques et des zones nationales définies par le territoire soient en train de disparaître » (Ehrkamp et Leitner, 2006, p. 1630). Ils expliquent donc que les idées de [traduction] « déterritorialisation et de dénationalisation de la citoyenneté sont simplistes et prématurées » (Ehrkamp et Leitner, 2006, p. 1630).

Rusciano a analysé des données d’enquête liées à 23 nations qui portaient sur la construction de l’identité nationale. Il a trouvé un appui pour la théorie selon laquelle [traduction] « la construction de l’identité nationale découle, en partie, d’une négociation entre la Selbstbild de la nation (la conscience nationale d’une nation, ou l’image que ses citoyens ont de leur pays) et la Fremdbild de la nation (l’image internationale perçue ou réelle de la nation dans l’opinion mondiale) » (Rusciano, 2003, p. 361). Une explication préliminaire de nos constatations est donc que si l’identification en tant que citoyen du monde implique une préoccupation à propos d’événements qui se produisent à l’échelle mondiale ou un investissement dans ceux-ci, il se peut que l’individu qui s’identifie comme un citoyen du monde affiche également un soutien accru pour le Canada et pour le rôle qu’il joue afin d’influencer ces événements. En d’autres mots, les individus qui s’identifient comme citoyens du monde peuvent insister davantage sur la Fremdbild de la nation.

Les résultats de la régression montrent également que les répondants immigrants antérieurs et récents qui s’identifient fortement comme membres de leur communauté locale sont considérablement plus susceptibles de s’identifier en tant que citoyens du Canada (RC = 14,4 et 4,9 respectivement, tous deux statistiquement significatifs à p<0,01). Il existe également une relation positive et statistiquement significative quand on examine les données de la population totale de la WVS (RC = 9,6, p<0,01, voir l’appendice B). Ces résultats fournissent des preuves préliminaires qui semblent indiquer que l’identification à la microcommunauté est associée à l’identification à la macrocommunauté.

Pearce affiche des résultats semblables à partir de son analyse des données de l’EDE, qui suggère qu’il existe une relation positive entre la confiance à l’égard de la collectivité locale et le sentiment d’appartenance à l’échelle nationale. Pearce propose : [traduction] « une explication possible de cette situation est que les immigrants considèrent leurs voisins comme un échantillon de la population canadienne dans son ensemble et qu’ils associent leurs sentiments à l’égard de leur communauté immédiate à leurs sentiments pour la société tout entière » (Pearce, 2008, p. 26). Comme l’analyse de la documentation l’indique, l’identification comporte des connotations d’appartenance et a des conséquences pour la cohésion sociale. Il semble donc que la mesure dans laquelle les individus, qu’ils soient immigrants ou non, s’identifient à leur communauté locale influe considérablement sur la cohésion de la société canadienne en général. Cette conclusion en dit long sur l’importance d’investir dans des programmes qui favorisent l’établissement de collectivités accueillantes où règne la cohésion.

Les résultats de la régression logistique indiquent par ailleurs qu’une forte identification en tant que citoyen d’un autre pays n’est pas associée au niveau auquel l’individu s’identifie comme citoyen du Canada. Cette constatation fournit des preuves préliminaires selon lesquelles la double citoyenneté ne mine peut-être pas l’appartenance à la société canadienne.

Enfin, les répondants natifs du Canada et immigrants récents qui sont tout à fait d’accord avec l’énoncé selon lequel ils se voient comme des personnes autonomes sont beaucoup plus susceptibles de s’identifier comme citoyens canadiens, comparativement à ceux qui ne se voient pas comme tels (RC = 1,9, p <0,01 et RC = 2,1, p<0,05, respectivement). Quand on examine les données de la population totale de la WVS, on trouve aussi une relation positive et statistiquement significative (RC = 1,7, p<0,01, voir l’appendice B). Cette constatation pourrait signifier que des valeurs comme l’autosuffisance, le libre choix et la prise de décisions éclairées ne contredisent pas les droits et les libertés rattachés à la citoyenneté canadienne.


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